La pute qui cache la forêt
Le matin, dans le métro, faut pas me faire chier !
Le temps passé dans les transports est l’une des dernières étapes de mon réveil, et je n’ôte les derniers oripeaux de ma muflerie que lorsque je franchi la porte du centre social où je bosse (et encore, y a des jours où je ne les enlève pas de la journée mais c’est une humaine faiblesse…). Et si on me foire une étape (douche froide, café renversé, grève de Radio France, agacements nés de la fréquentation de mes contemporains), ça peut avoir des conséquences graves sur l’humeur du jour !
Tout ça pour dire que ce matin, justement, un quidam m’a fait chier. A sa décharge, il ne l’a pas fait volontairement, son seul tort étant d’être en discussion avec un collègue, de lui sortir tout un tas de lieux communs avec un air supérieur et d’une voix relativement forte (suffisante pour troubler ma lecture, le con !!), avec un débit quasiment ininterrompu, laissant son interlocuteur au simple rang de faire valoir obligé de se fader les analyses débiles de son comparse qui semblait avoir un avis sur tout.
Entre autres sujets intéressants, j’ai chopé au passage une tirade sur l’équipe de France de foot composée de frimeurs et d’obsédés sexuels et c’est bien normal, car que veux-tu attendre de voyous qu’on est allé chercher dans leurs cités 
pour en faire des stars, qu’heureusement dans le rugby, on n’a pas ça, faut d’abord être un gens bien avant de pouvoir jouer.
Bon, je le reprécise pour les ceusses qui le savent pas : le foot je m’en tamponne grave, le rugby aussi. Ce n’est donc pas pour défendre ces valeureux guerriers que je m’exprime ici.
Ce dont je ne me tamponne aucunement, c’est de la tartufferie ambiante, cette espèce de moralisme général qui autorise chacun à jeter l’anathème sur d’autres dont les comportements plus ou moins déviants sont montés en épingles par les journaleux.
Qu’un mec vienne décréter que les joueurs de foot sont des obsédés sexuels parce qu’ils ont couché avec une pute, déjà ça fait franchement rigoler. Quand on sait qu’un cerveau masculin est constitué pour moitié par sa bite, il me semble que ça devrait déjà inciter les mecs à un peu plus d’humilité en termes de jugement de valeurs sur le comportement des autres. Mais c’est un fait reconnu que l’on a beaucoup moins d’indulgence pour les faiblesses des autres que pour les siennes…
En particulier si ces autres sont des stars à qui on demande d’être des parangons de vertu alors qu’ils baignent au cœur de toutes les tentations dispensées par le pouvoir du tout fric : grosses bagnoles, coke, putes de luxe, champagne, caviar…
Et le bon peuple, aiguillonné par l’univers médiatique toujours prompt à dénoncer les comportements immoraux, tant celui-ci est exemplaire comme chacun sait, pourfend les baiseurs, les sniffeurs, les lux’ostentateurs, mais ne s’émeut pas outre mesure des sommes considérables gagnées par une frange de la population (sauf quand c’est des banquiers ou des chefs d’entreprises car c’est manifestement moins légitime qu’un sportif, faudra qu’on m’explique pourquoi). Le bon peuple cautionne même, en continuant à aller voir des matchs, en achetant des télés pour le mondial, en faisant provision de produits dérivés, en déifiant ces connards encarnavalés pour la simple raison que les-dits connards font gagner les couleurs de son équipe et que ça flatte l'égo « d’imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».
Pire, il n’oublie pas, quand il va à St Tropez, de frayer du côté des grandes villas dans l’espoir de se frotter un peu à la super richesse, il déambule dans le port en regardant les gros pleins de fric se faire dorloter sur leur yacht par d’accortes drôlesses, en rêvant, mais avec l’air de ne pas y toucher, de prendre la place des buveurs de champ’.
La véritable indécence n’est, selon moi, pas de coucher avec une pute de luxe fut-elle mineure, ni de se faire des shoots à la coke, pas plus que de s’acheter des supers bolides de frimeurs qu’avec ça tu pourrais
t’acheter une chouette baraque cash. Ces manifestations ne sont malheureusement que les avatars de l’idéologie libérale qui rejette toute idée de modération des revenus individuels, et habille son cynisme par des valeurs morales de merde qui ne sont qu’une feuille de vigne à gogos pour masquer son amoralité totale.
S’il y a un procès à faire, c’est pourtant bien celui d’un système qui, sous prétexte du sacro saint droit à la propriété privée, autorise tous les excès en termes de gains personnels, qui promeut le tout pognon comme le rêve ultime, tout en prenant un air outragé face aux excès naturellement liés à l’accession à cet univers.
Mais bon… C’est vrai que c’est plus simple pour tout le monde de pointer du doigt les dieux déchus pour avoir fauté. Ca préserve le système, et donne au populo un bon dérivé à sa colère…