Canard latté
Parce qu’il a chopé un canard qui s’était posé sur le terrain et l’a balancé derrière les barrières sans violence excessive mais sans non plus trop de ménagement, un joueur de foot centrafricain évoluant dans le championnat belge est aujourd’hui l’objet des critiques de toute la Belgique (en particulier des ligues de protection animalières) recevant même des menaces de mort et des insultes racistes sur son site internet.
Qu’il est beau de voir tout un pays s’émouvoir des « maltraitances » infligées à un canard par un ignoble individu, étranger et noir de surcroit ! N’est-ce pas porteur d’espoir de constater la capacité du peuple belge à retrouver son unité autour d’une volaille martyrisée par un sauvage importé d’Afrique, alors qu'ils se déchirent depuis tant de temps jusqu’à envisager une scission de la Flandre et de la Wallonie ?
Il convient en effet de s’indigner avec force de cet outrage, la bête en question ayant été infiniment vexée d’être traitée ainsi. On pourrait regretter que cette capacité d’indignation et de révolte ne s’exprime pas de la même façon pour les populations d’humanoïdes victimes de la faim, de massacres divers et variés ou, sans aller trop loin, de la pauvreté dans des pays occidentaux suant le fric.
On pourrait peut-être souhaiter qu’un élan identique se lève pour dénoncer le sort fait aux iraniens, aux palestiniens, aux haïtiens abandonnés depuis que les médias ont déserté, aux tchétchène, aux etc, etc, etc.
On pourrait même imaginer que les belges mettraient à contribution leur capacité de révolte pour dénoncer les nationalismes et autres fascismes qui amènent peu à peu le pays au bord de l’implosion.
Mais non… Le sort d’un volatile torturé (n’ayons pas peur des mots) par un mec qui n’est même pas blanc (et que si ça se trouve, il cause même avec un accent et dit « oui bouana » : j’insiste un peu là-dessus car vu l’ambiance en Belgique en ce moment, je ne suis pas sûr que si c’était un blanc qui avait fait ça l’affaire eût fait autant de barouf) est infiniment plus digne d’intérêt que la situation de quelques millions d’êtres humains qui vivent dans la misère et la violence. Un canard outragé heurte plus nos sensibilités d’occidentaux que des petits noirs qui ont un côté si exotique et folklorique avec leur bide en ballon de basket qu’on finit par croire que c’est leur morphologie naturelle.
Avant que je me fasse agonir d’injures par tous les défenseurs d’animaux outrés par tant de cynisme de ma part, je veux clarifier ma position : j’aime les canards. J’adore les canards. Surtout en foie gras, en magret, ou en pâtés. Et je ne mets pas de côté la protection des animaux, nécessaire et indispensable face à nous, foutus prédateurs que nous sommes. Mais j’aime aussi tenter de garder le sens de la réalité et des priorités. J’ai tendance à penser que les émotions populaires pour défendre collectivement une bébête martyrisée sont la production d’un occident malade de ses richesses, de son trop plein de tout, qui a justement un peu perdu ce sens des priorités. En d’autres lieux, la foule se serait jetée sur le canard pour le bouffer, ou pour nourrir ses enfants. Et personne n’en aurait chié une pendule…
A la décharge des belges, il est évident qu’on est tout à fait capable d’être aussi cons en France. Ca n'excuse rien.